Athanase Percevalve le petit berger. Son grand chien à frange, sans nom et intello. Romuald, le buté belier noir, paradoxale incarnation de cette "bêtise au front de taureau" poétisée par Baudelaire. Et son troupeau de brebis fantasques et discutailleuses... Le petit théâtre du Génie des alpages a perdu son créateur, le dessinateur et scénariste F'murr, mort le 10 avril 2018 à l'âge de 72 ans. Comment définir cette BD, unique en son genre ? Humoristique, certes. Mais aussi absurde, poétique, et qui pratiquait en orfèvre l'art de la mise en abîme (l'histoire se lisait au premier plan, mais derrière, dans les décors, se jouait un second niveau de narration, tout aussi stimulant). Bref, F'murr, c'était le mouton à 5 pattes.
Du Génie des alpages à la Tartine de clous
"Sa disparition, à la place qu'il occupait, laisse un trou, un vide qui ne peut être remplacé par personne", confie à Sciences et Avenir son confrère dessinateur et scénariste Christian Godard (Martin Milan, La Jungle en Folie). "Il n'avait pas d'antécédents, contrairement à presque toujours dans la bande-dessinée, et n'aura pas de successeur. Il va nous manquer dans notre paysage à nous". Dans une intervention télévisée de 1989 qui a resurgi sur le web à l'annonce de sa mort, F'murr (qui écrivait parfois son pseudo avec 3 "r") évoquait la naissance du Génie des alpages. "Il fallait que je propose une série au journal Pilote qui m'en ayant pris une (précédemment) l'avait bloquée au bout d'un an. C'était un peu en désespoir de cause, j'ai proposé diverses choses, dont les 4 premières pages du Génie des alpages". Nous sommes alors en 1976, autrement dit l'époque "où régnait Goscinny aux éditions Dargaud : s'il n'avait pas été là, je ne serais pas là".
Merde ! F’murrr est mort ! Tristesse de voir partir le créateur du Génie des Alpages... L’album “Barre-toi de mon herbe” est l’un de mes premiers souvenirs BD... pic.twitter.com/ypUObhVvfH
— olivier lascar (@olascar) 10 avril 2018
F'murr - de son vrai nom Richard Peyzaret - avait depuis signé 14 tomes du Génie des alpages. Son oeuvre ne s'arrête pas là. Auteur de bien d'autres albums (citons Le Pauvre Chevalier ou Le Char de l'Etat), il avait aussi créé Tartine de clous, un recueil d'histoires bizarroïdes où l'on découvrait la vie nocturne et mouvementée de la Grande galerie de l'Evolution, du Muséum national d'Histoire naturelle. Y évoluait une jeune squatteuse fumeuse de cigares (elle aussi à frange, F'murr aimait les franges) et un morse philosophe. L'album n'est hélas plus disponible. A cet égard, l'artiste parlait dans l'entretien vidéo de 89 de la façon parfois malheureuse dont les éditeurs traitent leurs auteurs : "l'angoisse est plutôt celle-ci : si je suis pas là, qu'est-ce qu'ils vont faire ?".