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Expositions

EXPO. L'art de se maquiller et de se coiffer révélé dans les estampes japonaises

Les secrets de beauté des femmes au Japon entre le 17e et le 19e siècle explorés par des objets pour comprendre les estampes : voici le cœur de la nouvelle exposition de la Maison de la culture du Japon à Paris qui se tient du 7 octobre 2020 au 6 février 2021. Visite.

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La fête du premier jour du lièvre à Kameido, Utagawa Toyokuni, 1854

La fête du premier jour du lièvre à Kameido, Utagawa Toyokuni, 1854

© POLA Research Institute of Beauty and Culture

Edo. Une ville (aujourd’hui Tokyo) et une époque de l’histoire japonaise (1603-1868). Le pays qui sort alors d’une longue période de troubles intérieurs est enfin unifié. Le pouvoir est aux mains de seigneurs guerriers, les célèbres "shoguns", tandis que l’empereur basé à Kyoto n’a plus qu’une fonction symbolique. De la paix nait alors la prospérité. Celle du commerce comme celles arts. Et ce fut un âge d’or pour l’artisanat et pour l’estampe (gravures sur bois). Cet âge d’or devient désormais témoignage historique pour différentes pratiques sociales. Et aujourd’hui, la Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) se sert de ces sources historiques pour donner un coup de projecteur sur les rituels de beauté chez les femmes à l’époque Edo.

Rituels féminins, Kôchôrô Kunisada, 1847 © POLA Research Institute of Beauty and Culture

Une beauté concentrée sur le maquillage et les coiffures

Une beauté qui est concentrée sur celle du corps : il n’est pas question ici de vêtements mais de maquillage et de coiffures. Le maquillage d’abord. La quête d’une peau blanche, toujours en vogue aujourd’hui au pays du Soleil Levant, est déjà d’actualité. Les femmes couvraient le haut de leur corps – le visage mais aussi le cou et la nuque – d’une poudre blanche. La plus populaire, car la moins chère, était le "blanc de plomb". Un produit toxique – qui ne cèdera sa place à des substances moins nocives qu’au 20e siècle – mais très efficace. Elle n’était pas utilisée pour obtenir une blancheur parfaite mais plutôt pour mettre en valeur les différentes parties visibles du corps. Son application était codifiée dans des ouvrages tels que le "Manuel de manières et de maquillage de la capitale", grand succès de diffusion dont une copie est présentée dans l’exposition. Mais le blanc n’est pas le seul attribut. S’impose aussi le noir. De façon surprenante pour les sociétés occidentales contemporaines, il concerne les dents. Ohaguro : voici le nom de cette coutume venue des temps anciens – attestée dès le 3e siècle – qui consiste à utiliser une substance pour noircir la dentition à compter du jour du mariage afin d’afficher sa fidélité. Cette substance consistait en un mélange de vinaigre, de saké, d’eau de rinçage de riz associés à des résidus métalliques tels que des clous cassés ou encore de la poudre de noix de galle, une excroissance tumorale recueillie sur certains végétaux. Les estampes de mariages conservées par l’institut japonais de recherche sur la beauté POLA et qui sont présentées à la Maison de la culture du Japon à Paris témoignent bien de son usage. Symbolique, le noircissement des dents avait une autre vertu : il protégeait en effet des caries ! Après le blanc et le noir, vient une troisième couleur [nous appelons ici le noir une couleur même si les physiciens nous rappelleront qu’elle n’en est pas une], le rouge. Beaucoup plus rare car les pigments permettant de l’obtenir étaient hors de prix, son usage était réservé aux lèvres, voire aux coins des yeux. Avec une particularité que l’on peut observer en se concentrant sur certaines estampes : la lèvre inférieure paraît verte et non rouge. Explication : en appliquant plusieurs couches de ce fard, celui-ci devenait irisé comme la carapace de certains coléoptères, laissant entrevoir un vert brillant. Un résultat qui aurait été obtenu de façon empirique par certaines "femmes de plaisir" qui s’en recouvraient quotidiennement les lèvres. C’est que ces dernières, si l’on entend le terme dans une acception plus large englobant aussi bien les prostituées les moins fortunées que les courtisanes les plus adulées, inspirèrent au moins autant les courants de mise en valeur du corps féminin que les représentantes de la haute société. En témoigne d’ailleurs la deuxième partie de l’exposition, consacrée aux coiffes.

Perruque à chignon de style Shimada à la Harunobu, époque contemporaine
© POLA Research Institute of Beauty and Culture

La coiffure, un espace de liberté pour sublimer le corps

Ici, point de perruques, l’art de la coiffure était celui d’une mise en forme de cheveux longs, enrichie éventuellement de diverses parures. En effet, à l’époque, les femmes ne portaient ni bagues ni colliers (alors pourtant que l’art préhistorique japonais regorge de chefs-d’œuvre du genre). Les signes extérieurs de richesse étaient mal vus au temps des samouraïs. Et la coiffure était comme un espace de liberté pour sublimer le corps de la femme. Elle s’inspira d’abord de celle des hommes. Eux-aussi portaient les cheveux longs et les mettaient en forme pour ne pas être gênés dans leurs tâches quotidiennes. Les coiffeurs japonais étaient à Edo avant tout des hommes qui coiffaient d’autres hommes. Mais l’époque prospère fit que les femmes les plus aisées eurent droit aussi à ce privilège. Ainsi naquit l’art du chignon au féminin. Il en existait quatre types "de base" représentés dans l’exposition avec des miniatures, dont trois venaient de modes amorcées par des "femmes de plaisir", elles-mêmes inspirées par d’autres femmes venues de Chine. De ces quatre types, naitront une infinité de variations sur les quatre parties de la coiffure : la frange, les coques sur les côtés, la partie couvrant la nuque et le chignon. C’est ce dernier qui sera le plus symbolique, répondant à des règles pouvant varier selon la classe d’âge, le régime matrimonial, la région, etc. A quoi il faut ajouter les seuls ornements tolérés à l’époque : peignes, piques ou épingles, sertis de matériaux précieux tels que l’or, l’argent, l’ivoire ou la nacre.

Peigne en bois laqué à motif de boîte à coquillages, fin de l’époque Edo
© POLA Research Institute of Beauty and Culture


Quel est donc le propos de cette exposition Secrets de beauté ? D’abord une explication factuelle, nourrie de différents objets, des us et coutumes de l’art de mettre en valeur la beauté de la femme à l’époque d’Edo. Mais avec un objectif : permettre de décrypter les quelque 150 estampes qui sont dévoilées en fin de parcours. D’abord dans la série des "Cent plus belles femmes et sites célèbres d’Edo". Cette série d’Utagawa Toyokuni III (1786-1864) a la particularité de mêler une vignette d’un site japonais célèbre avec la mise en scène de femmes de classes sociales extrêmement variées mais dont l’artiste a toujours perçu une certaine forme de beauté, qu’il s’agisse d’une citadine anonyme, d’une "femme de plaisir" ou d’une épouse de daimyô (seigneur de fief). Vient ensuite la série du Gynécée du château de Chiyoda. Le château était celui du shogunat, et le gynécée la partie réservée aux femmes, qu’elles soient épouses, sœurs, servantes ou concubines. Les hommes n’y étaient pas admis. Aussi, l’artiste, Yôshû Chikanobu, ancien militaire défait au service du shogun et reconverti artiste, n’a-t-il pu les réaliser qu’à la restauration de l’empire et uniquement sur la base de témoignages oraux ou écrits. Sur ces deux séries on retrouve des femmes en situation mais avec, cette fois, la faculté, en regardant leur visage, leur maquillage et leur coiffure, de décrypter quelques symboles d’une époque qui disparut ensuite en quelques décennies avec l’ouverture du pays à l’Occident.

 

Secrets de beauté. Maquillage et coiffures de l’époque Edo dans les estampes japonaises

Maison de la Culture du Japon à Paris, 101 bis quai Branly, du 7 octobre 2020 au 6 février 2021.

Rens. : 01.44.37.95.95.

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